Comprendre le rôle de la mutuelle dans le système français

La France possède l’un des systèmes de santé les plus développés au monde, mais tout le monde l’a remarqué : la Sécurité sociale ne rembourse pas tout. C’est là qu’intervient la mutuelle, plus précisément la “complémentaire santé”. Le but ? Prendre en charge, totalement ou en partie, le “reste à charge” après passage de la Sécu (ticket modérateur, forfaits, dépassements d’honoraire, etc).

Mais face aux sollicitations multiples et à la diversité des contrats proposés, une question s’impose : la mutuelle est-elle une obligation ou simplement un choix personnel ? La réponse n’est pas uniforme, elle varie selon votre situation.

Mutuelle obligatoire : le cas des salariés du secteur privé

Depuis le 1er janvier 2016, en application de la “loi ANI” (Accord National Interprofessionnel - source : Service-public.fr), tous les employeurs du secteur privé doivent proposer une complémentaire santé à leurs salariés. Le salarié est, sauf exceptions, obligé d’y adhérer.

  • L'employeur doit payer au moins 50 % de la cotisation ;
  • Le contrat doit respecter un panier de soins minimum (consultations, médicaments, hospitalisation, optique, etc.) ;
  • Les ayants droit (enfants, conjoint) peuvent être couverts ou non, selon le contrat.

Voici toutefois les principales exceptions (les fameuses “dispenses d’adhésion”) :

  • Contrat à durée très courte (<12 mois) ou à temps très partiel (inférieur à 15h/semaine, dans certains cas) ;
  • Bénéficiaires de la Complémentaire santé solidaire ;
  • Salariés déjà couverts (par exemple via une autre entreprise, conjoint, etc.) ;
  • Salariés en “multi-employeurs”, cas des salariés ayant plusieurs petits CDD, etc.

Dans la pratique, 94 % des salariés du secteur privé avaient bien une mutuelle collective en 2023 (source : Drees, Panorama des complémentaires santé, juin 2023).

Mutuelle : facultative pour qui ?

Heureusement, de nombreux français ne sont pas tenus par une telle obligation légale ou contractuelle. Pour eux la mutuelle reste un choix. C’est le cas :

  • Des retraités (personnes de plus de 62 ans, sauf s’ils choisissent de prolonger un contrat collectif “loi Evin”) ;
  • Des travailleurs indépendants : auto-entrepreneurs, artisans, professions libérales, commerçants, exploitants agricoles… ;
  • Des fonctionnaires (sauf exceptions locales où des collectivités exigent une adhésion à une mutuelle labellisée) ;
  • Des étudiants (depuis la réforme de la sécurité sociale étudiante en 2019)
  • Des demandeurs d’emploi ;
  • Et, bien sûr, des enfants mineurs sans emploi.

Il n’existe à ce jour aucune loi en France obligeant toute personne majeure à posséder une complémentaire santé individuelle.

Focus : Pourquoi la mutuelle a longtemps été facultative pour tous ?

Jusqu’aux années 2010, la mutuelle santé était systématiquement un choix personnel, parfois présenté comme un petit “luxe”. Beaucoup de français s’en passaient : en 2011, selon la Drees, plus de 5 millions de personnes n’avaient pas de complémentaire santé. Puis, deux facteurs clés ont joué :

  • La baisse du taux de remboursement de la Sécu (en moyenne 78 % pour les soins courants aujourd’hui, contre 92 % dans les années 1980)
  • L’augmentation du coût des soins non pris en charge (optique, dentaire, audioprothèse, médecines alternatives, etc.)

Cette situation a motivé la généralisation progressive de la mutuelle, d’abord chez les salariés du privé, et la création de dispositifs d’aide pour les autres (ACS, puis CSS).

Le cas des bénéficiaires de la Complémentaire santé solidaire (CSS)

La CSS (ex-CMU-C et ex-ACS), entrée en vigueur en 2019, est une mutuelle santé gratuite ou à petit prix, accordée sous conditions de ressources (voir : ameli.fr).

Elle n’est pas obligatoire, mais vivement recommandée si vous y êtes éligible. Ce dispositif a permis de réduire la part de la population sans complémentaire à environ 3 % en 2022 (soit environ 2 millions de personnes), contre 8 % une décennie auparavant (Source : Drees).

Que risque-t-on en cas d’absence de mutuelle ?

Aucune sanction (amende, pénalité) n’existe en cas d’absence de mutuelle individuelle si vous n’êtes pas salarié du secteur privé. Mais il faut bien comprendre ce que cela implique :

  • Reste à charge souvent élevé sur certaines dépenses (lunettes, prothèses dentaires, consultations spécialistes hors tarifs Sécu, forfait journalier à l’hôpital, dépassements d’honoraires…) ;
  • Impossibilité de profiter du “100 % santé” (lunettes et prothèses remboursées à 100 %) sans complémentaire ;
  • Impossibilité parfois d’accéder à certains soins, par crainte du coût. Une étude de la Mutualité Française (2021) montrait que 29 % des personnes sans mutuelle renoncent à se faire soigner contre 15 % des personnes couvertes.

Il reste donc pertinent de toujours soupeser l’utilité d’une couverture, même minimale.

Les spécificités par grand profil

Salariés du privé : mutuelle presque toujours obligatoire

  • En cas de départ (retraite, licenciement, fin de CDD…) : possibilité de conserver temporairement (12 à 36 mois) la mutuelle collective selon la “loi Evin”, moyennant souvent une hausse de cotisation.

Fonctionnaires : une vraie différence

  • Pas d’obligation nationale, mais attention, certaines administrations (police, armée…) proposent leurs propres mutuelles “labellisées” avec participation financière.
  • Depuis 2022, l'État prend en charge 15 euros par mois de la cotisation complémentaire, avant une prise en charge de 50% en 2024 (source : fonction-publique.gouv.fr).

Indépendants : facultatif depuis la réforme

  • Depuis la disparition du RSI (2018), aucune obligation. Mais un contrat « Madelin » permet de déduire fiscalement les cotisations sous certaines conditions.

Étudiants : retour au statu quo

  • Depuis la suppression de la sécurité sociale étudiante en 2019, aucune mutuelle n’est obligatoire après 18 ans. Mais la protection reste précieuse (accès au “100% santé”, remboursement des médecines douces, etc.).

Retraités : attention au laisser-aller

  • Pas d’obligation ni de sanctions, mais c’est la population la plus exposée au “reste à charge” élevé. Aujourd’hui, plus de 97 % des retraités français sont couverts mais on constate un renoncement accru chez les plus de 75 ans (source : Drees).

Aperçu chiffré : la France, pays des couvertures multiples

  • 96 % des Français ont une complémentaire santé, individuelle ou collective (Drees, 2023) ;
  • Environ 2 millions de personnes n’en ont toujours pas, principalement à cause du coût et d’une méconnaissance des aides ;
  • Le reste à charge annuel moyen, sans mutuelle, atteint 625 euros par an (hors surconsommation) ; il monte à plus de 1200 euros pour une personne en affection longue durée et à plus de 2000 euros pour certaines lunettes ou appareils auditifs sans prise en charge complémentaire.

Quelques situations à part : voyages, doubles mutuelles, etc.

  • Rien n’oblige une personne à souscrire deux mutuelles… mais cela arrive (personnes couvertes à titre principal et “ayant droit” sur un autre contrat) ;
  • A l’étranger (vacances ou expatriation), la mutuelle française n’a aucune valeur obligatoire – seule une assurance spécifique peut être requise pour l’obtention de certains visas ;
  • Pour les petits boulots, alternances et stages : la situation varie, certaines entreprises proposent la mutuelle aux “stages longs”, d’autres non.

À noter : depuis 2019, l’Assurance maladie recommande explicitement à tous – y compris jeunes adultes – de choisir une couverture, même minimale, pour éviter des frais imprévus.

L’essentiel : choisir avec discernement, jamais par défaut

En France, la mutuelle santé n’est juridiquement obligatoire que dans le secteur privé salarié ou via un dispositif spécifique financé par une collectivité ou l’État. Dans la majorité des situations – indépendants, retraités, étudiants, personnes en transition –, la complémentaire reste une liberté, non une contrainte. Mais derrière ce choix, il y a une réalité financière : le risque de se retrouver avec des factures difficiles à supporter, voire de devoir reporter ou renoncer à des soins importants.

Avant de souscrire (ou de ne pas souscrire), il est pertinent de faire le point : quels soins consommez-vous ? Quel est votre budget ? Avez-vous exploré toutes les aides possibles ? Prendre le temps de vous informer, comparer, et faire un choix adapté à votre situation est, à long terme, le meilleur moyen de ne pas subir son système de santé… mais d’en être pleinement acteur.