Comprendre le rôle réel de la Sécurité sociale : une base, pas une couverture intégrale

Il est fréquent d’entendre dire en France que “la Sécurité sociale rembourse les soins”. Pourtant, quand on y regarde de plus près, la réalité est bien différente. Depuis sa création, la Sécurité sociale vise à garantir un accès aux soins minimum pour tous. Mais ce dispositif ne prend en charge qu’une partie des dépenses : en moyenne, 78% des frais de santé sont remboursés par l’Assurance maladie selon la Drees, ce qui laisse un reste à charge conséquent pour les patients (source : Drees, 2023).

Ce “reste à charge” – c’est-à-dire la somme qui n’est pas couverte et qui reste à payer par l’assuré – dépend beaucoup des soins réalisés, mais aussi du secteur du professionnel de santé, du respect ou non du parcours de soins, et des dépassements d’honoraires.

Le reste à charge : de quoi parle-t-on concrètement ?

Si l’on prend l’exemple d’une consultation chez un généraliste du secteur 1, dont le tarif conventionné est de 26,50 euros depuis novembre 2023, l’Assurance Maladie rembourse 70% de ce montant, soit 18,55 euros. Mais il faut ensuite déduire la participation forfaitaire de 1 euro, laissée à la charge du patient. Résultat : pour une consultation a priori “courante”, ce sont déjà 8,95 euros qui restent à votre charge (source : ameli.fr).

La situation devient rapidement plus complexe :

  • Dépassements d’honoraires chez les spécialistes : Un rendez-vous chez un spécialiste de secteur 2 à Paris peut facturer 80 euros une consultation dont seulement 16,10 euros seront pris en charge par l’Assurance maladie (pour une consultation tarif Sécu à 25 € x 70%, moins la participation forfaitaire). Le reste à charge bondit alors à plus de 60 euros.
  • Soins dentaires : Sur une couronne dentaire facturée 600 euros, la base de remboursement de l’Assurance Maladie reste souvent de 120 euros (pour une couronne céramo-métallique). Remboursement de 70% soit 84 euros : le reste à charge explose. Sans complémentaire, la facture peut être difficile à digérer.
  • Lunettes et optique : Pour un équipement progressif, la Sécu rembourse… quelques euros seulement. En pratique, sans mutuelle, les frais dépassent vite 300 à 500 euros.

Au final, selon UFC-Que Choisir, le reste à charge annuel moyen s’élevait à 640 euros en France en 2022, mais il est très variable selon l’âge, la région et l’état de santé (source : UFC-Que Choisir).

Lois et réformes : vers une meilleure couverture… mais des lacunes persistantes

Depuis plusieurs années, différentes lois ont tenté de limiter le reste à charge :

  • La généralisation de la complémentaire santé d’entreprise (ANI, 2016) : les salariés doivent bénéficier d’une mutuelle d’entreprise, financée à 50% minimum par l’employeur.
  • La réforme “100% Santé” (entrée en vigueur de 2020 à 2021) : promesse de lunettes, prothèses dentaires et auditives remboursées à 100% sur certains équipements. Mais attention : seuls les équipements et soins entrant dans les “paniers 100% Santé” sont concernés. Le choix reste donc limité, et beaucoup d’actes (hors paniers) restent partiellement remboursés.
  • Le reste à charge zéro (RAC 0) : souvent évoqué, il ne concerne qu’une minorité de soins et ne prend pas en compte les dépassements d’honoraires, le hors-nomenclature, ou certains actes de prévention.

En clair : oui, la couverture progresse. Mais de nombreux frais, parfois très lourds, restent à la charge du patient ou de sa famille.

La mutuelle santé : quelle différence concrète pour votre budget ?

Une mutuelle – ou complémentaire santé – intervient pour compléter les remboursements de la Sécurité sociale, afin de réduire (voire d’annuler) les restes à charge. Sa mission : prendre en charge :

  • La part non remboursée par la Sécu sur les soins courants (consultations médicales, pharmacies, examens…)
  • Les frais d’hospitalisation (forfait journalier, chambre particulière, dépassements d’honoraires…)
  • Les équipements lourds : lunettes, prothèses dentaires et auditives, orthopédie…
  • Certaines prestations non prises en charge par la Sécu (ostéopathie, implantologie dentaire… selon les contrats)

Pour mesurer l’intérêt, prenons l’exemple d’une hospitalisation simple :

  • Séjour de 3 jours à l’hôpital avec une petite intervention.
  • Forfait journalier à 20 euros par jour, chambre particulière à 50 euros par jour, dépassements d’honoraires chirurgicaux estimés à 500 euros.
  • La Sécurité sociale ne remboursera ni la chambre particulière, ni les dépassements d’honoraires. Sans mutuelle, la facture totale pour la famille dépassera aisément 650 euros.

Avec une complémentaire adaptée, ces frais sont pris en charge en totalité ou en grande partie. C’est là tout l’enjeu.

Qui est le plus exposé sans mutuelle ?

On imagine parfois que seuls les seniors sont concernés. Or, 7 % des Français n’ont pas de complémentaire santé (source : Mutualité Française, 2023). Ce chiffre monte à 11 % pour les moins de 30 ans et à 12 % pour les familles monoparentales (source : Drees). Sans mutuelle, les situations de vulnérabilité sont amplifiées pour :

  • Les personnes atteintes de maladies chroniques (diabète, cancers, insuffisance rénale…). Les frais non pris en charge peuvent représenter des centaines, voire milliers d’euros chaque année, en transports, en soins de support, en actes hors nomenclature, etc.
  • Les familles avec enfants, notamment pour l’orthodontie, l’optique et les frais dentaires. Selon le Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, une année d’orthodontie pour un enfant dépasse souvent 600 euros de reste à charge sans mutuelle, et chaque renouvellement de lunettes atteint couramment 150 à 350 euros non remboursés par la Sécu.
  • Les jeunes actifs et étudiants, qui, faute de ressources, négligent parfois la souscription à une mutuelle et se retrouvent en difficulté pour assumer un simple accident ou une hospitalisation.
  • Les plus de 65 ans, pour qui la fréquence des soins et le coût des appareillages explosent. L’étude Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) 2022 rappelle ainsi que le reste à charge explose à partir de 65 ans, principalement pour les soins auditifs et dentaires.

Peut-on bien se soigner sans complémentaire santé ?

La question se pose, mais la réponse, en toute honnêteté, n’est pas rassurante. Ne pas prendre de complémentaire santé, c’est souvent faire l’impasse sur plusieurs types de soins importants :

  • Reporter ou renoncer à des suivis médicaux (spécialistes, dentistes, ophtalmos…)
  • Opter pour des équipements moins performants, dans les limites du panier “100% Santé”
  • S’endetter, fonder des cagnottes, ou s’appuyer sur la solidarité familiale pour faire face à une dépense imprévue

L’association de consommateurs France Assos Santé a publié en 2023 un baromètre tirant la sonnette d’alarme : 23 % des personnes ayant renoncé à des soins l’ont fait pour des raisons financières, faute de couverture suffisante.

Quelles alternatives pour les budgets limités ?

Pour les revenus les plus modestes, il existe heureusement des dispositifs essentiels :

  • La Complémentaire santé solidaire (CSS, ex-CMU-C) : gratuite ou à petit prix selon les ressources, elle offre une couverture étendue. Près de 11 % des bénéficiaires de CSS n’auraient jamais consulté chez le spécialiste sans cette aide (source : CPAM, 2022).
  • Les aides de la CAF ou des collectivités locales, utiles pour ponctuellement financer une complémentaire santé ou une dépense exceptionnelle.
  • Le droit au bénéfice du contrat solidaire et responsable, réservé à certaines situations de handicap ou de précarité.

Même pour ceux qui ne peuvent pas prétendre à ces aides, choisir une garantie basique mais efficace reste une stratégie préférable à l’absence totale de protection.

Évolutions récentes et défis à venir

Le système de santé français est réputé pour sa qualité, mais il voit son reste à charge augmenter depuis plusieurs années, notamment sur les soins non pris en charge par la Sécurité sociale. Les renégociations tarifaires, l’inflation du coût des soins et le vieillissement de la population accentuent ce phénomène.

D’après la Drees (2023), la part des dépenses de santé financée par les complémentaires s’établit désormais à 13,5 %, contre moins de 10 % il y a vingt ans. Quant au budget moyen d’un foyer pour sa complémentaire santé, il s’élève désormais à environ 1 500 euros par an selon la Mutualité Française.

Face à l’émergence de nouveaux besoins (soins non conventionnés, e-santé, prévention, médecines alternatives), la complémentaire santé s’impose donc comme un filet de sécurité à réadapter constamment à sa situation, à son âge et à son état de santé.

Comprendre avant de choisir : la clé de la protection

Beaucoup de Français découvrent la véritable importance de leur mutuelle lors d’un pépin sérieux. Pourtant, ce n’est pas le moment où l’on souhaite s’apercevoir des limites de la Sécurité sociale. Prendre le temps de comparer les niveaux de remboursement, de privilégier la bonne couverture suivant ses besoins (soins courants, hospitalisation, frais dentaires et d’optique, médecines douces…), c’est se donner les moyens de préserver à la fois sa santé et son budget.

La mutuelle santé, loin d’être un “luxe” ou une option, reste à ce jour une nécessité pour garantir un accès complet à des soins de qualité, quel que soit son profil.