Comprendre la portabilité des mutuelles d’entreprise à la retraite

Au moment du passage à la retraite, beaucoup de salariés s’interrogent sur la continuité de leur couverture santé. En France, plus de 80% des actifs sont couverts par une complémentaire santé collective (source : Drees 2023). Mais que devient cette protection au moment du départ à la retraite ? Peut-on la garder, faut-il en choisir une nouvelle, et combien cela coûte-t-il réellement ? Voici des réponses concrètes, loin des discours publicitaires.

Que dit la loi sur le maintien de la mutuelle d’entreprise après la retraite ?

Depuis la loi Evin du 31 décembre 1989, tout salarié quittant une entreprise pour cause de retraite (ou d'invalidité, licenciement, etc.) a le droit de bénéficier d'un maintien de sa complémentaire santé collective, à titre individuel. Concrètement, cela signifie qu'il peut continuer à être assuré auprès du même organisme, mais dans des conditions désormais personnelles et non plus collectives.

Ce droit est cependant conditionné à votre demande expresse auprès de l’assureur dans les six mois suivant la rupture du contrat de travail et la fin du maintien de la couverture collectif (souvent appelé « portabilité » pour d’autres causes que la retraite).

  • Maintien du contrat collectif : Il ne s'effectue plus aux mêmes tarifs ni avec la même participation de l’employeur.
  • Délai de demande : Vous disposez de 6 mois pour faire valoir ce droit. Passé ce délai, le maintien n’est plus possible (source : Service-public.fr).

Mutuelle d’entreprise en retraite : quelles différences avec le contrat actif ?

Lorsqu'on passe à la retraite, la mutuelle collective subit plusieurs transformations majeures :

  • Pertes des avantages financiers : En activité, l’employeur finance au minimum 50% de la cotisation (source : Ameli.fr). À la retraite, cette part disparaît totalement : vous devez assumer seul la totalité de la cotisation.
  • Augmentation progressive des tarifs : La loi Evin encadre l’augmentation : la première année, la cotisation ne peut dépasser le tarif "actif" majoré de 50%, la deuxième année +75%, la troisième année +100%. Après, l’assureur est libre de fixer ses tarifs indistinctement.
  • Possible évolution des garanties : Certains contrats individuels sont identiques aux collectifs, d'autres peuvent voir leurs garanties réduites ou options supprimées à la retraite.

Exemple concret : un retraité dont la cotisation « salarié » était de 50 € par mois pourrait se retrouver, dès la première année, avec une cotisation de 100 à 120 euros, puis parfois 140 euros et plus les années suivantes.

Quels sont les avantages à conserver sa mutuelle collective en retraite ?

Conserver le contrat collectif présente quelques atouts :

  • Aucune démarche de sélection médicale et aucune exclusion : L’assureur ne peut pas refuser le maintien, ni appliquer de questionnaire de santé ou de délai de carence.
  • Maintien d’une couverture parfois avantageuse : Certains secteurs professionnels (banques, télécoms, BTP...) négocient des garanties élevées, bien supérieures à ce qu’on trouve sur le marché individuel.
  • Pas de hausse subite ou injustifiée dans les 3 premières années : Le plafonnement légal des augmentations peut aider à anticiper le budget à court terme.

Quelles sont les limites ou inconvénients à ce maintien ?

Malgré certains avantages, il convient de mesurer quelques écueils :

  • Hausse rapide des cotisations : Même plafonnées les trois premières années, les cotisations finissent souvent par dépasser les offres du marché une fois ce délai passé. D’après l’UFC-Que Choisir, beaucoup de retraités voient leur cotisation doubler, voire tripler en 4-5 ans.
  • Garanties parfois inadaptées : Le contrat collectif vise les besoins d’une population active : maternité, médecine courante, garanties enfants, alors qu’à la retraite, les priorités évoluent (soins dents, optique, aides auditives, hospitalisation).
  • Impossibilité d’ajuster finement : Il est souvent difficile de modifier les options ou détarifer certaines garanties, surtout comparé à une mutuelle senior souscrite en dehors du cadre collectif.

Est-il préférable de choisir une nouvelle mutuelle individuelle ?

De nombreux retraités font le choix de quitter leur « ancienne » mutuelle collective pour souscrire une complémentaire santé dédiée aux seniors ou aux retraités. C’est particulièrement intéressant pour :

  • Personnaliser sa couverture : Les offres seniors sont centrées sur les besoins liés à l’âge (dépendance, hospitalisation, audioprothèses, optique renforcée, médecines douces, etc.)
  • Réaliser des économies : À garanties équivalentes, les mutuelles individuelles peuvent être moins chères. Selon la Mutualité Française, en 2024 la cotisation moyenne d’une mutuelle senior « de base » est d’environ 65 € à 110 € par mois (contre 120 à 200 € pour certains contrats collectifs maintenus).
  • Changer de formule lors d’un changement de situation : Les contrats individuels sont plus souples (modification en cas d’apparition d’une ALD, d’évolution de la composition familiale, etc.)

A noter : Depuis le 1er décembre 2020, toutes les complémentaires santé sont résiliables à tout moment après la première année de contrat (loi n°2019-733 du 14 juillet 2019).

Quelles démarches pour passer d’une mutuelle collective à une individuelle ?

  1. Demander le maintien de la mutuelle d’entreprise (optionnel) : Votre employeur ou votre assureur doit vous informer de ce droit au plus tôt 6 mois avant la cessation d’activité. Vous disposez de 6 mois à compter de la fin du contrat pour faire votre demande officielle.
  2. Comparer précisément les offres du marché : Faites établir plusieurs devis auprès de mutuelles seniors et comparez garanties/cotisations à celles proposées pour le maintien collectif.
  3. Mettre fin (si besoin) au contrat d’entreprise : Si vous optez pour une autre mutuelle, envoyez un courrier de résiliation à l’assureur collectif. Aucun justificatif médical n’est exigé, et la résiliation prend souvent effet sous 1 ou 2 mois.
  4. Adhérer à une nouvelle mutuelle individuelle : Veillez à bien caler les dates pour éviter toute interruption de droits.

Bon à savoir : Si vous êtes bénéficiaire de la Complémentaire santé solidaire (CSS, ex-CMU-C et ACS), vous ne pouvez pas cumuler le maintien collectif payant et la CSS, mais il est possible de choisir le plus avantageux.

Exemple concret : le parcours de Marie, jeune retraitée du secteur bancaire

Marie, 62 ans, quitte son poste dans une agence bancaire. Son contrat collectif lui permet de maintenir sa mutuelle « entreprise » pour 120 euros par mois, avec une garantie hospitalisation et optique de qualité mais peu de remboursement sur les aides auditives. Sur recommandation de son pharmacien, Marie compare plusieurs devis seniors : pour 98 € par mois, elle bénéficie non seulement du même niveau d’hospitalisation mais aussi d’une meilleure prise en charge des aides auditives et des soins alternatifs.

Après avoir comparé avec son conjoint (éligible à la CSS), ils choisissent la formule individuelle senior plus adaptée à leurs besoins. Ils résilient la mutuelle d’entreprise dans les délais impartis, évitant ainsi tout risque de « trou » de couverture santé.

Précautions et points de vigilance lors du passage à la retraite

  • Pensez à anticiper vous-même : L’information n’est pas toujours transmise de façon claire. Sollicitez votre DRH, votre assureur, ou consultez un conseiller indépendant.
  • Lisez attentivement vos garanties : Les tableaux de garanties peuvent masquer des différences importantes (plafonds annuels, exclusions, etc.).
  • Attention aux délais de carence : Certaines mutuelles seniors appliquent des délais de carence sur le dentaire, l’optique ou l’hospitalisation. Cela peut poser problème en cas de soin immédiat indispensable.
  • Réfléchissez à l’évolution future de vos besoins : La santé évolue avec l’âge : anticipez d’éventuels nouveaux postes de dépense (audioprothèses, appareillages médicaux, etc.).

À retenir et perspectives d’évolution

Le passage de la mutuelle d’entreprise à la mutuelle individuelle n’est ni automatique, ni systématiquement avantageux ou désavantageux. Il dépend de multiples facteurs : garanties, prix, état de santé, besoins particuliers et contexte familial. Il n’y a pas de solution unique, mais des démarches à bien anticiper pour rester protégé en toutes circonstances.

Dans les années à venir, de nouvelles réformes (par exemple en matière de « reste à charge zéro » ou de comparateurs publics) pourraient faciliter davantage encore la transition entre mutuelle collective et individuelle à la retraite. Se tenir régulièrement informé, via des sites officiels ou des blogs d’experts indépendants, reste le meilleur moyen d’éviter les mauvaises surprises.

Pour aller plus loin :

  • Loi Evin (Service-public.fr)
  • Drees – Les dépenses de santé en 2023
  • Mutualité Française
  • UFC-Que Choisir